Une princesse en Gascogne
Si le département du Gers compte parmi ses ressortissants nombre de gens célèbres, surtout de sexe masculin d’ailleurs, on y trouve assez peu de femmes et encore moins de princesses, si ce n’est dans la ville de Lectoure où, à la fin du XIXème siècle, est venue finir ses jours une fille de Lectourois, devenue par mariage, princesse d’un pays lointain : la Valachie.
Une provinciale à Paris
Henriette, Aurélie Soubiran est née dans le Calvados à Caen en 1820. C’est la fille d’un Lectourois, Paul-Emile Soubiran (1770-1855) fils d’un orfèvre.
Ce personnage qui parle plusieurs langues, peu recommandable, traqué par la justice, n’hésite pas à changer de nom et de nationalité, il se déguise pour fuir la maréchaussée, en cuisinier, évêque, en général. Il se réfugie à plusieurs reprises dans le clocher de Lectoure où il terminera ses jours, évitant jusqu’au bout la prison.
Ce séducteur épouse en 2ème noces une normande Caroline de Sueur de la Capelle qui lui donnera 3 enfants : 2 filles dont Henriette née en 1820, et un garçon.
La fille aînée Desdémone aurait vécu à Paris une vie de courtisane.
Nous savons peu de choses sur le frère Jean-Baptiste qui vivra à Lectoure dans la propriété du Cassagnau, qu’il lèguera à sa plus jeune sœur.
Celle-ci qui a reçu une excellente éducation, est férue de littérature. Elle se lance dans l’écriture et s’installe à Paris où elle fréquente les salons littéraires et artistiques.
Dès 1841 elle commence à publier (« Paris le matin », « Nos étrennes », « Virginie ») et se produit, sans grand succès au théâtre de l’Odéon.
Elle appartient alors, semble-t-il à ce milieu qualifié de « demi-monde » d’après le titre d’un roman d’Alexandre Dumas fils, c’est-à-dire de ces femmes entretenues par de riches messieurs. Un article du journal illustré « l’Univers » la décrit ainsi « Aurélie trône dans les soirées des samedis. »
Une autre description est faite lors de son oraison funèbre par Edouard Danssos, magistrat de Lectoure « admirablement belle, plus encore gracieuse que belle, aussi recherchée pour l’attrait de da grâce que par le charme de son esprit… C’était une femme supérieure, d’une sensibilité exquise, d’un cœur plein de délicatesse et de bonté. D’une intelligence élevée, portée vers l’étude et la réflexion, elle aimait les lettres. »
Dans ces soirées elle rencontre du « beau monde » : Alexandre Dumas fils qui vient d’écrire la Dame aux camélias ; le caricaturiste Daumier, Cham, un gersois, petit-fils du comte de Noé qui a libéré aux Antilles, Toussaint Louverture, héros de l’émancipation des Noirs et de l’indépendance de Haïti. Elle rencontre aussi Balzac en 1841, l’auteur de la Comédie humaine a déjà publié Eugénie Grandet », « Le Père Goriot » et le « Lys dans la vallée ».
C’est dans ce milieu bohème qu’elle fait la connaissance du prince Grigore Ghika qu’elle épousera en 1849.
Son mariage avec l’un des 6 fils du hospodar (titre donné aux princes vassaux de Constantinople dans les provinces danubiennes) est un mariage d’amour. Il fait rentrer Aurélie qui se fait appeler « de Soubiran » dans une des plus grandes familles princières d’Europe.
La nouvelle princesse suit son époux en Valachie (principauté au sud de la Roumanie actuelle) où elle va résider une dizaine d’année, « les plus heureuses de sa vie » dira-t-elle.
Elle s’intéresse à l’histoire de sa patrie d’adoption, écrit plusieurs ouvrages encore étudiés de nos jours comme « la Valachie moderne » ou « Lettres d’un penseur des bords du Danube » et en devient « l’ambassadrice ». L’influence française est alors grande dans cette partie de l’Europe, Gérard de Nerval y effectue un voyage en 1844, le prince Grigore IV, beau-père d’Aurélie (voir photo) a effectué une partie de ses études en France où il se retirera à l’échéance de son mandat de hospodar. Il se suicidera dans sa propriété du Mee-sur-Seine, près de Melun.
Un de ses petits-fils Vladimir Ghika se convertira au catholicisme, il sera arrêté par la police communiste et emprisonné. Mort en 1951 des suites de mauvais traitements, il sera béatifié en 2013 par le pape François.
Un autre membre de la famille épousera une demi-mondaine Liane de Pougy, la plus belle femme du siècle d’après Edmond de Goncourt.
Mais revenons en Valachie, cette heureuse période de sa vie se termine, son époux qui préfère la vue parisienne et les chevaux à la politique décide de revenir à Paris. Un drame alors surgit : en septembre 1858 sur les champs Elysées, les chevaux de la Victoria s’emballent après le départ d’Aurélie et de sa belle-mère, et si le cocher est grièvement blessé, le prince décède peu de temps après à 44 ans. Quinze voitures de deuil suivent son enterrement.
Aurélie revient alors en Valachie, le prince ayant rédigé un testament en sa faveur.
Mais la famille Ghika attaque le testament de son mari. Elle accepte le versement d’une rente annuelle de 25 000 francs et décide alors de renter à Lectoure.
La princesse à Lectoure
En 1866, à 46 ans la princesse revient s’installer au domaine de Cassagnau légué par son frère, à Lectoure, la ville de son père. Le souvenir de celui-ci est toujours vivace, aussi, dans un premier temps, l’accueil de la princesse est plutôt hostile. Elle est qualifiée « d’intrigante » par la « bonne société » lectouroise.
Dans un article intitulé « à mes compatriotes » elle écrit « je suis revenue près de vous, vers le soir, attirée par le charme du souvenir des 1ères années qui rattache la tombe au berceau. J’avais emporté ce pays avec moi ».
Plus tard à une amie, Valérie Barailhé : « la jalousie et l’envie me font expier ici mes grands succès de Paris ».
En 1892, dans une lettre destinée à cette même amie, elle évoque Lectoure en ces termes « cette ville somnolente ne s’éveille que pour des catastrophes, et la définit comme « un nid d’oies ».
Il est vrai qu’elle n’hésite pas à se faire remarquer faisant par exemple édifier un balcon au 2ème étage de sa maison du 29 rue Nationale à côté de la tour d’Albinhac, alors que toutes les autres en ont un certes, mais au 1er étage.
Cependant ses manières de princesses, ses talents littéraires, ceux de sa cuisinière aussi, Léocadie, célèbre pour ses gratins de macaroni « qui filent comme un banquier » disait la princesse (le plat était alors à la mode) vont modifier les opinions. Aurélie continue d’écrire, notamment un roman autobiographique « la duchesse Cerni » publié dans la Revue Moderne en 1866, elle publie aussi sur la Valachie : « le roi Milan » en 1901 et « le roi Charles de Roumanie » la même année. Ses dédicaces donnent une idée de ses talents littéraires : « A M. le commandant Junca. Une amitié de toute la vie qui unit la grâce du matin à la douceur du soir » ou encore « A Mme M.S. fine d’esprit, égale d’humeur et élégante de manières ». En 1891 elle publie « Pensées la solitude » ouvrage préféré non sans moquerie par Alexandre Dumas fils qui écrit « le grand avantage des livres de cette sorte, c’est de n’avoir ni commencement, ni milieu, ni fin. Il en est d’eux comme du vin. Il n’est pas nécessaire d’avoir bu tout le tonneau pour savoir s’il est bon, un verre suffit. Tout le reste est pareil ».
Le 21 février 1904, la princesse décède à Lectoure. Elle y est enterrée à l’entrée du cimetière Saint Gervais.
Ainsi se termine la vie romanesque de la seule princesse inhumée dans le département du Gers.
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